OPERIRE 10
Justin Weiler
19 avril 2025 _ 31 mai 2025
Justin Weiler, malin comme un peintre... Justin Weiler se définit comme peintre. Si sa nouvelle exposition nous convie au sein d'un paysage urbain surplombant le spectateur, jouant sur les troubles de définitions entre ce médium et celui de la photographie, la sculpture ou l'architecture, il se présente toujours, et avant tout, comme peintre... « Dans mon travail, tout tourne autour de la peinture... en l'étirant à ses extrémités », précise-t-il. Cette ambigüité évidente démarre dès ses études aux Beaux-arts, où il se sent comme captif face à un trop grand respect pour la peinture. Il admire alors Gérard Gasiorowski, lui-même ayant sans cesse dialogué avec les limites du tableau. Le parallèle peut aussi se lire dans cette passion commune pour les plantes, que Justin Weiler regarde dans les vitrines, avant qu'il ne se focalise sur ces espaces créant des frontières physiques mais visuellement ouvertes... dévoilant, scindant ou clôturant en même temps. Il commence à établir des protocoles qui l'éloignent du médium tout en le suivant à la trace. Toujours, il débute par un dessin aux lignes et figures géométriques. Puis, il se confronte à son support, ces immenses feuilles de verre ornées d'une peinture comme « emprisonnée », insufflant l'ambiguïté de la représentation par ses diverses couches. Couvrant et recouvrant, gommant ce geste de la peinture tout en la rendant manifeste, les règles qu'il s'impose dévient l'esquisse initiale et se conditionnent face à l'aléatoire. Ces oppositions entre les vides et les pleins, les couleurs autant primaires que naturelles - on y voit des bleus célestes, des jaunes solaires ou des rouges volcaniques - s'inscrivent dans une large histoire du paysage ou celle des pères fondateurs de l'abstraction. On pense à la rigueur de Piet Mondrian ou aux divers carrés de Kasimir Malevitch. Bâtissant de plus en plus des microarchitectures et ces interstices « inframinces » chers à Marcel Duchamp, l'artiste se place autant dans les pas d'une culture française flirtant avec l'absurde que du minimalisme américain. Ainsi Justin Weiler peut citer le miroir d'Orphée, qui permet au poète d'accéder au royaume mystérieux de la Belle et la Bête, ou que Jean Cocteau qualifia de « porte de la mort » dans sa pièce éponyme. Subrepticement, il évoque encore Quad, de Samuel Beckett, chorégraphie de personnages camouflés, mettant en exergue davantage les espaces que le langage. La confrontation directe de son spectateur avec ses lignes épurées rend également hommage aux figures américaines de James Turrell ou Larry Bell. Quand ses dimensions grandissantes et enveloppantes nous invoquent Dan Graham. Dans ces interstices où le corps se fait actif, l'artiste sous-tend une lecture qui se révèle, de manière subtile, plus engagée. Il rappelle que son intérêt pour les intervalles s'est développé lors d'une résidence au Liban, face aux nombreux rideaux de fer qui conservaient les souvenirs de la guerre... Ou encore qu'à Chypre, la crise économique s'imposait dans ces murs d'acier oblitérant de multiples vitrines, tandis que la France était, elle, visée par des attentats terroristes. La poussière est bien plus qu'une métaphore du temps qui passe. Justin Weiler murmure que l'on peut figurer beaucoup par des jeux de couleur et de lumière, revenant toujours à son sujet qu'est la peinture. Marcel Duchamp avait vulgarisé la maxime « bête comme un peintre », tout en maîtrisant parfaitement ce médium, avant de s'en détourner. Justin Weiler a fait le choix de s'en repaitre... de cacher sa peinture, tout en la révélant, éternellement fasciné par la possibilité infinie de ses espaces mentaux. Marie Maertens