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Parade

18.10 _ 22.11.2025

Ancre 1

Le mot parade porte en lui une ambiguïté fertile : à la fois geste de protection et d’exposition, de dissimulation et de dévoilement. Issu du verbe parer - se défendre, se préparer, se rendre visible -, il évoque un mouvement de surface, une stratégie d’apparition. Ici, la parade est espace d’émancipation par la visibilité autant qu’un terrain de résistance face au regard qui saisit et fige. Ce qui se montre n’apparaît jamais sans réserve : la brillance abrite autant qu’elle révèle, la forme protège autant qu’elle s’offre. Judith Butler dirait que le paraître est déjà un acte - un geste performatif par lequel le corps s’affirme tout en se dérobant. L’apparition n’est pas transparence, mais négociation : une véritable politique du visible. La parade, c’est aussi l’évocation du mouvement - le déploiement, le défilé, l’apparition en procession. Elle est à la fois chorégraphie et structure, succession de gestes que la matière tente de retenir. Comme l’a montré Guy Debord, le spectacle n’est jamais pure illusion, mais condensation du visible : un lieu où la représentation devient résistance. Les sculptures de Paola Siri Renard s’inscrivent dans cette tension. Elles orchestrent un champ de forces entre équilibre et dérive, poids et lévitation. Rien n’est stable : tout semble sur le point de basculer, de se disperser ou de reprendre souffle, oscillation entre apparition et retrait, où la fuite devient forme de présence. La Parade trouve son origine dans l’observation des monuments équestres coloniaux. Figures de pierre ou de bronze, ils peuplent encore l’espace public, érigeant leurs chevaux en symboles d’une gloire pétrifiée. À travers eux se joue l’histoire du pouvoir comme spectacle : celle d’un corps dressé sur un autre, d’un ordre qui se montre pour mieux s’imposer. Mais ici, la hiérarchie se renverse : le cheval quitte le socle, se dédouble, se fragmente, et devient le témoin silencieux d’un monde en mutation. L’ensemble évoque un état transitoire : architecture qui se décompose, mobilier qui s’écarte, corps qui s’étirent hors de ses limites. Les œuvres engagent le spectateur dans un parcours où se déploient jeux d’échelles, du monumental au minuscule, brouillant les repères vers un espace abstrait et indéterminé. Cette gradation du visible au caché s’accompagne toujours d’une moitié manquante : fermeture éclair sans double, fermoir sans bijou, paumelle sans porte - instaurant un lien spéculatif entre les fragments et révélant la parenté qui les unit. Un théâtre silencieux où le mouvement se fait mémoire, où la structure, loin de figer, retient juste assez pour laisser passer. Sorana Munsya

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